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[Merci à Gérard Delacroix pour son aide dans la rédaction de ce texte et à Bernard Kientz pour la reproduction de son affiche]




Le Protecteur en tant que vaisseau de 64 canons n'a en fait jamais existé!

Il semble que le modèle présenté au Musée de la Marine de Paris (et comportant 64 canons) ait été ainsi nommé à la suite de l'interprétation de l'amiral Pâris, conservateur du Musée de la Marine à la fin du XIXème Siècle. Il a en effet baptisé ce modèle grâce à un commentaire inscrit sur un registre d'époque, mais sans vérifier la véracité du nom, notamment en regard de son armement.
Or, un Protecteur de 74 canons a bel et bien existé; sa construction a été entreprise sous la direction de Noël POMET et a débuté sous le règne de Louis XV, en 1757 à Toulon, et il a été lancé le 21 mai 1760 et a navigué jusqu'en 1789. Il fut entre autre commandé par M. de Grasse Limermont et fit partie de l'escadre du comte d'Estaing au combat de la Grenade le 6 juillet 1779.
Quoi qu'il en soit, il n'en reste pas moins que ce vaisseau est représentatif des navires navigant à cette époque. Sa maquette a été restaurée en 1880, et a été construite à l'échelle de 1/33.

Le Protecteur était armé de canons dont la masse des boulets identifiait ceux-ci : les plus gros, situés dans la 1ère batterie (le pont le plus bas), tiraient des boulets de 24 livres (soit près de 12 kg), les canons de 12 livres envoyaient des boulets de 6 kg, et les plus petits, les canons de 8, propulsaient une charges de 4 kg.
La portée théorique de ces canons était de 3 700 mètres, mais la meilleure efficacité (précision et effet destructeur) imposait de tirer les bordées à environ 600 mètres...
Ces canons représentaient les seules armes à longue portée du vaisseau. Leur maniement était long et dangereux, et il fallait à un équipage même bien entraîné plusieurs minutes pour remettre un de ces mastodontes en état après un tir.
Il suffit de songer qu'un canon de 24 livres et son affût pesaient environ 3 tonnes, et qu'il ne fallait pas moins de 13 servants pour parvenir à effectuer toutes les opérations nécessaires à son fonctionnement. Les canons de 12 nécessitaient 9 marins et ceux de 8 livres, 7.
Sur un vaisseau de 64 canons qui faisait feu, ce n'était donc pas moins de 330 hommes qui devaient s'activer simultanément, enfermés dans les ponts de batterie sombres et enfumés. Une seule bordée des canons envoyait à cet instant 260 kg de fer sur la cible du navire.
A ces 330 hommes, il fallait en rajouter une bonne cinquantaine (souvent des mousses, âgés d'à peine 12 ans), chargée de transporter depuis la soute aux poudres, située dans les profondeurs du navire, les charges et les boulets de tous ces canons.
Durant le combat (et le reste du temps aussi), il fallait également que le navire puisse être manœuvré, et ce sont ainsi une autre grosse centaine de marins supplémentaires qui étaient répartis sur le pont et dans la mâture.
A cette ville flottante de marins s'ajoutait souvent un corps d'infanterie de marine, constitué d'une bonne centaine de soldats, répartis sur le pont et dans les hunes, et qui entraient en action une fois les navires suffisamment proches l'un de l'autre pour qu'ils puissent utiliser leurs fusils.
Il n'était donc pas rare qu'en temps de guerre, un vaisseau comme le Protecteur abrite dans ses flancs 600 hommes, qu'il fallait loger et nourrir pendant plusieurs mois d'affilé.

Une telle promiscuité dans un espace aussi restreint entraînait – on s'en doute – des problèmes de salubrité qui pouvaient très rapidement prendre des proportions catastrophiques. Le chirurgien du bord était complètement isolé, et seuls ses connaissances, ses instruments et le fameux rhum lui permettaient de soigner tous les maux qui ne manquaient pas d'apparaître lors des missions du navire.
Les vivres fraîches rapidement épuisées, il fallait alors puiser dans les réserves de viandes salées (porc, bœuf ou morue) et l'eau (plus ou moins claire) puisée dans les barriques à fond de cale. La ration d'eau quotidienne du marin était de 4 litres (cuisine comprise), et souvent celle-ci était encore rationnée lorsque les réserves s'épuisaient…
Le scorbut guettait également les marins en manque de vitamine C, lors des longues campagnes, mais également toutes les blessures allant de pair avec la marche normale du navire : chutes, blessures lors des engagements, impliquant très souvent l'amputation, le chirurgien opérant dans un recoin de l'entrepont qui n'avait d'infirmerie que le nom.
Un garrot, une rapide rasade d'alcool et la scie à amputer faisait son travail. Pas étonnant alors que de nombreux blessés lors des combats succombaient à leurs blessures dans les jours qui suivaient l'engagement.

De telles conditions de vie n'étaient supportées par l'équipage qu'au prix d'une discipline de fer : le code maritime était implacable en matière de punitions; les fers, les coups de garcette (petit cordage), courir la bouline (c'est-à-dire passer entre deux haies d'hommes maniant ces garcettes), ou pire, la "cale" (laisser tomber un homme (attaché à un cordage) dans l'eau depuis une des vergues), voire même la "grande cale", lors de laquelle on le faisait passer sous le bateau! Sans oublier la peine de bagne ou plus simplement la mort par pendaison.

Malgré tout, ces navires représentaient l'âge d'or de la marine à voile; un vaisseau comme le Protecteur mesurait 74 mètres de long, 14 de large pour une hauteur maximale de 64 mètres! Son grand mât mesurait 90 cm de diamètre, et le navire pesait environ 3 000 tonnes...